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30 décembre 2010 4 30 /12 /décembre /2010 09:25

Lecture 1 : Dom Juan I.1

Quelques notes prises chez des collegues a completer par le cours.

 

 

Dom Juan, ou Le Festin de Pierre


(passage etudie en bleu)

ACTE I, Scène première

 

SGANARELLE, GUSMAN.

SGANARELLE, tenant une tabatière: Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n'est rien d'égal au tabac: c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droit et à gauche, partout où l'on se trouve? On n'attend pas même qu'on en demande, et l'on court au-devant du souhait des gens: tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. Mais c'est assez de cette matière. Reprenons un peu notre discours. Si bien donc, cher Gusman, que Done Elvire, ta maîtresse, surprise de notre départ, s'est mise en campagne après nous, et son cœur, que mon maître a su toucher trop fortement, n'a pu vivre, dis-tu, sans le venir chercher ici. Veux-tu qu'entre nous je te dise ma pensée? J'ai peur qu'elle ne soit mal payée de son amour, que son voyage en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger de là.

GUSMAN: Et la raison encore? Dis-moi, je te prie, Sganarelle, qui peut t'inspirer une peur d'un si mauvais augure? Ton maître t'a-t-il ouvert son cœur là-dessus, et t'a-t-il dit qu'il eût pour nous quelque froideur qui l'ait obligé à partir?

SGANARELLE: Non pas; mais, à vue de pays, je connais à peu près le train des choses; et sans qu'il m'ait encore rien dit, je gagerais presque que l'affaire va là. Je pourrais peut-être me tromper; mais enfin, sur de tels sujets, l'expérience m'a pu donner quelques lumières.

GUSMAN: Quoi? ce départ si peu prévu serait une infidélité de Dom Juan? Il pourrait faire cette injure aux chastes feux de Done Elvire?

SGANARELLE: Non, c'est qu'il est jeune encore, et qu'il n'a pas le courage.

GUSMAN: Un homme de sa qualité ferait une action si lâche?

SGANARELLE: Eh oui, sa qualité! La raison en est belle, et c'est par là qu'il s'empêcherait des choses.

GUSMAN: Mais les saints nœuds du mariage le tiennent engagé.

SGANARELLE: Eh! mon pauvre Gusman, mon ami, tu ne sais pas encore, crois-moi, quel homme est Dom Juan.

GUSMAN: Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut être, s'il faut qu'il nous ait fait cette perfidie; et je ne comprends point comme après tant d'amour et tant d'impatience témoignée, tant d'hommages pressants, de vœux, de soupirs et de larmes, tant de lettres passionnées, de protestations ardentes et de serments réitérés, tant de transports enfin et tant d'emportements qu'il a fait paraître, jusqu'à forcer, dans sa passion, l'obstacle sacré d'un couvent, pour mettre Done Elvire en sa puissance, je ne comprends pas, dis-je, comme, après tout cela, il aurait le cœur de pouvoir manquer à sa parole.

SGANARELLE: Je n'ai pas grande peine à le comprendre, moi; et si tu connaissais le pèlerin, tu trouverais la chose assez facile pour lui. Je ne dis pas qu'il ait changé de sentiments pour Done Elvire, je n'en ai point de certitude encore: tu sais que, par son ordre, je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m'a point entretenu; mais, par précaution, je t'apprends, inter nos, que tu vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, en pourceau d'Epicure, en vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille à toutes les remontrances qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons. Tu me dis qu'il a épousé ta maîtresse: crois qu'il aurait plus fait pour sa passion, et qu'avec elle il aurait encore épousé toi, son chien et son chat. Un mariage ne lui coûte rien à contracter; il ne se sert point d'autres pièges pour attraper les belles, et c'est un épouseur à toutes mains. Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui; et si je te disais le nom de toutes celles qu'il a épousées en divers lieux, ce serait un chapitre à durer jusques au soir. Tu demeures surpris et changes de couleur à ce discours; ce n'est là qu'une ébauche du personnage, et pour en achever le portrait, il faudrait bien d'autres coups de pinceau. Suffit qu'il faut que le courroux du Ciel l'accable quelque jour; qu'il me vaudrait bien mieux d'être au diable que d'être à lui, et qu'il me fait voir tant d'horreurs, que je souhaiterais qu'il fût déjà je ne sais où. Mais un grand seigneur méchant homme est une terrible chose; il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j'en aie: la crainte en moi fait l'office du zèle, bride mes sentiments, et me réduit d'applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste. Le voilà qui vient se promener dans ce palais: séparons-nous. Écoute au moins: je t'ai fait cette confidence avec franchise, et cela m'est sorti un peu bien vite de la bouche; mais s'il fallait qu'il en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirais hautement que tu aurais menti.

 



Problematiques :

sc d'exposition : informer, captiver

relation matre/valet

un double portrait : Sganarelle et DJ

le libertinage


Introduction :

Présenter rapidement Molière et la pièce
Scène d’exposition de la pièce : Sganarelle, valet de Dom Juan, parle avec Gusman, écuyer de Done Elvire, épouse de Dom Juan. Le spectateur apprend que ce dernier est parti du domicile conjugal avec son valet sans prévenir sa femme et que celle-ci s’est lancée à sa poursuite.
Dans un premier temps, le rideau s’est levé sur une conversation déjà en cours entre les deux serviteurs, ce qui permet de mener rapidement le dialogue et de donner l’illusion de la réalité au spectateur. Procédé que Molière emploie déjà dans Le Misanthrope.
Etude de la tirade finale de Sganarelle où il fait un portrait négatif et inquiétant de son maître absent de la scène, Dom Juan, personnage éponyme de la pièce qui n’apparaît que dans la scène 2. Portrait comique également qui nous donne des indications sur Sganarelle lui-même.
Quel portrait le valet fait-il de son maître, le personnage éponyme, et comment ?

I. Une scène d’exposition originale

Traditionnellement, le valet de théâtre est le confident et l’adjuvant de son maître. Or, portrait négatif et outré de DJ par Sg. A priori le personnage de Dom Juan est connu des contemporains de l’époque : apparaît dans de nombreuses pièces. Il s’agit donc de présenter un DJ original, et une relation entre maître et valet originale + intérêt dramatique de ce portrait en l’absence du personnage + portrait du valet lui-même.
Mouvement de la tirade :
55-60 : même ton prudent que dans le début de la scène : sous-entend sans vouloir dire clairement le motif du départ de DJ.
60-68 (« mais »), lien logique qui introduit le portrait : déchaînement et violence verbale, grande confusion : portrait par accumulations d’images successives.
68-77 , portrait factuel : les mauvaises actions de DJ (nécessaires à l’exposition)
77-fin, retour au dialogue avec Gusman, justifications de son propre comportement, et retour à l’action théâtrale après la pause du portrait.


II . Un portrait impétueux et désorganisé qui mèle informations de l’exposition et comique

Importance que le personnage se donne à lui-même dans sa tirade : l. 55/60, insistance sur «je ; moi », accumulations de « je » : ton péremptoire de celui qui sait, », 68-69 opposition « tu me dis que… crois que » + une certaine fierté d’avoir un maître d’exception, quels que soient ses vices : l. 60-61 : « mais », pédantisme « inter nos », mise en relief « mon maître », superlatifs hyperboliques « le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté », hyperboles l.75-77 « jusques au soir ». Comique. Rejet et admiration.
Hésitations et contradictions entre fidélité et infidélité : syntaxe qui marque la confusion et l’hésitation à se confier : 5 lignes avant de commencer, effets d’annonce sans dire, s’avance (ph1), se rétracte (« pas de certitude encore ») enchaînements logiques vagues « : », « mais ». Peur de son maître + effet comique aussi : valet poltron qui ose sans oser critiquer son maître.
Déchaînement soudain de la violence verbale du portrait. Accumulations de noms péjoratifs d’une grande violence (l.63) : déchaînement comique. Noms imagés sans véritable information, sauf « hérétique » ; syntaxe compliquée : 3 « qui », 3 « en », 4 « ni », comique de la confusion et de l’accumulation.
Mèle superstition et religion, champ lex. de l’animal répugnant, de la bestialité, du fantastique : « loup-garou, enragé, chien, bête brute, pourceau ». Burlesque l.70-71, emportement et exagération comique : le spectateur peut-il voir en DJ une bête sauvage pareille ? Aspect fantasque et ridicule du valet qui s’emporte, son goût de la dramatisation, de l’hyperbole et de la fiction : « ébauche, pinceau » l.79. « Courroux du ciel », « être au diable »
Autoportrait de victime qui a peur, dont la moralité est blessée + autoaccusation « applaudir » ; crainte et servilité ; piété populaire « loup-garou », « ce que mon âme déteste ».


III. Dom Juan, un personnage inquiétant et impie

La peur et la violence verbale de Sganarelle à l’égard de son maître, même si elles sont exagérées et comiques, ne manquent pas de nous donner une image de Dom Juan comme d’un personnage terrible, inquiétant et impie.
Malgré son absence, forte présence de Dom Juan par son autorité et sa puissance sur Sg. Personnage dominateur et qui peut inspirer la terreur.
« le plus grand scélérat » ; « Un grand seigneur méchant homme » : image de la noblesse raillée par ses vices. Son rang aggrave ses fautes.
Un impie : « hérétique » 63 qui ne croit pas au ciel, qui ne croit en aucune valeur morale (lois du mariage bafouées) LIBERTIN
Un séducteur qui débauche les femmes : l. 69 « passion » : un homme mu par la passion désordonnée : opposition avec l’idéal classique de la mesure.
Un stratège de la séduction 71-77 : piétine les lois du mariage, en joue par le mensonge ; immoralité « rien » l.71 ; un chasseur de femmes (chasseur et proie) « pièges pour attraper les belles » 72 ; un inconstant 73-75 qui ne s’arrête à aucune convention ou rang sociaux. Idée de maîtrise « épouseur à toutes mains » (voc technique équestre). Pas une passion pour certaines femmes, mais pour toutes les femmes. LIBERTIN
Un personnage qui semble exiger la complicité, la connivence et l’adhésion de son valet à ses projets 86 « applaudir », ce qui suppose un lien fort entre eux et des débats à venir.
Un personnage célèbre à l’époque, quasiment un mythe. Cette condamnation initiale permet aussi à Molière de déjouer la censure et de se moquer de l’âpreté et de la violence possibles des censeurs dont les propos pourraient être aussi ridiculement outrés que ceux de Sganarelle, porte-parole de la foi populaire. Cf. le scandale juste avant du Tartuffe. Le personnage de Dom Juan, aussi immoral qu’il puisse paraître par la suite, a déjà été condamné.
D’ailleurs, annonce du dénouement : l.80

Conclusion :

scène d’exposition qui remplit son rôle informatif. Comique et sérieux mèlés. Une condamnation violente et déchaînée qui s’éteint dans la soumission retrouvée : arrivée de DJ, convention théâtrale. Pour le spectateur, curiosité de voir un tel monstre ; problème de la duplicité annoncée du valet par rapport à son maître.






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