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19 mai 2011 4 19 /05 /mai /2011 05:35

Texte :

 

La vie humaine est semblable à un chemin dont l'issue est un précipice affreux. On nous en avertit dès le premier pas ; mais la loi est portée, il faut avancer toujours. Je voudrais retourner en arrière. Marche ! marche ! Un poids invincible, une force irrésistible nous entraîne. Il faut sans cesse avancer vers le précipice. Mille traverses, mille peines nous fatiguent et nous inquiètent dans la route. Encore si je pouvais éviter ce précipice affreux ! Non, non, il faut marcher,
il faut courir : telle est la rapidité des années. On se console pourtant parce que de temps en temps on rencontre des objets qui nous divertissent, des eaux courantes, des fleurs qui passent. On voudrait s'arrêter : Marche ! marche ! Et cependant on voit tomber derrière soi tout ce qu'on avait passé ; fracas effroyable ! inévitable ruine ! On se console, parce qu'on emporte quelques fleurs cueillies en passant, qu'on voit se faner entre ses mains du matin au soir et quelques fruits qu'on perd en les goûtant : enchantement ! illusion ! Toujours entraîné, tu approches du gouffre affreux : déjà tout commence à s'effacer ; les jardins moins fleuris, les fleurs moins brillantes, leurs couleurs moins vives, les prairies moins riantes, les eaux moins claires : tout se ternit, tout s'efface. L'ombre de la mort se présente ; on commence à sentir l'approche du gouffre fatal. Mais il faut aller sur le bord. Encore un pas : déjà l'horreur trouble les sens, la tête tourne, les yeux s'égarent. Il faut marcher on voudrait retourner en arrière ; plus de moyens : tout est tombé, tout est évanoui, tout est échappé.



 

Jacques Bénigne BOSSUET (1627-1704),
“ Sermon pour le jour de Pâques ”

 

 

Quelques pistes : ce texte est un texte au fort registre oratoire. S'y cotoient le pathétique et le tragique dans le but de frapper le lecteur. Peut-être à vocation moralisatrice, ce Sermon sur le jour de Pâques est aussi un texte lyrique (cf toutes les modalités des phrases + je) qui met en image de façon exaltée la condition humaine, misérable. Ekphrasis, ce discours reprend le thème de la vanité (fleurs, sourire) et d'autres thèmes chers au mouvement baroque qui s'interroge sur la place de l'homme dans le monde, pris entre des forces qui l'écrasent et le dépassent.Ce texte constitue donc un memento mori

il ne donne au revanche aucune solution, il est donc empreint de pessimisme, d'une terreur toute humaine. Absence de salut ds ce texte.

Ici prêter attention à la rhétorique (célèbre !) oratoire de Bossuet, prédicateur : donc trace d'oralité, visée pédagogique, procédés d'amplification, de simplifications, échos internes nombreux et répétitions, images fortes, périodes et rythmes ternaires (jeux sur le volume des phrases : périodes/ phrases nominales). Les procédés de délocution (énallage pour prendre le lecteur à parti ou au contraire le tenir à distance, s'inclure/s'exclure du commun des mortels) etc.

Attention aussi à la dimension philosophique du texte : refléxion sur la mort, la vie, la condition humaine (theme pascalien du divertissement). L'homme face à sa condition. Reflexion sur le temps qui passe.

Un discours empreint de fatalité (il faut/il faut) marche ! marche... impossibilité de fuir sa condition (le conditionnel : je voudrais/marche, impératif)

rhétorique, philosophie, vanité baroque...


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